19 avril 2024
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Ventre, quand tu nous tiens, nous perdons la raison ! 

REGARD

Ventre, quand tu nous tiens, nous perdons la raison ! 

« Un historien géographe avait décrit l’Algérie comme un « gros ventre et une petite tête ». Le gros ventre est l’immense poche saharienne. La petite tête est la bande côtière (1 200 km) qui donne sur la Méditerranée. » 

L’élite au pouvoir issue du mouvement de libération nationale, a su faire sienne la pensée du chinois Laozi qui disait « pour qu’un Etat soit bien gouverné, il fallait que le peuple ait la tête vide et le ventre plein ». Dans ce sens, le pays a été très bien gouverné de 1962 à nos jours. Le pouvoir a compris très tôt que le peuple algérien, longtemps sevré, humilié et spolié par la colonisation a plus besoin de pain que de savoir, de protection que d’émancipation, de pain que de prières, de subventions que de taxes, de distractions que de travail, de revenus que d’emplois, de sommeil que d’activité. C’est là le secret de la longévité du régime politique algérien. Mais cette longévité a un prix ; la dignité d’un peuple et le défaut d’une élite. On ne parle pas avec la bouche pleine. Le verbe « manger » se conjugue en politique à tous les temps à la première personne du singulier. D’où cette injonction populaire majeure et permanente : « Pourquoi ne fais-tu de la politique pour manger comme tout le monde ? ». C’est quoi cette politique du ventre ? C’est une politique dans laquelle le soin à apporter au tube digestif et à l’accumulation des fortunes est primordial.

Elle éloigne ses pratiquants de toute conviction, il n’y a que le ventre qui compte. « On marche sur son ventre ». La plupart des algériens n’aiment pas aller au paradis le ventre creux, ils préfèrent partir à l’enfer le ventre plein pour se nourrir du contenu de leurs entrailles. Le ventre est l’épicentre de tous les courants politiques islamistes ou laïcs qu’ils agissent au nom de la religion, de l’Etat ou des droits de l’homme. Ils sont tous animés par la volonté de faire fortune ou de se remplir le ventre sans investir et sans produire. Cette politique ne s’accommode pas de la présence d’économistes, ceux sont des troubles fêtes, il faut s’en débarrasser on leur préfère de loin les « gargantuas ».

L’appétit venant en mangeant et la réussite matérielle en rampant. C’est une politique dans laquelle on accepte toutes les compromissions, pourvu que le ventre soit plein. « Qui rentre fait ventre ». Qu’importe si plus tard on fera l’objet de chantage. Le chantage est une arme redoutable en politique. Personne ne peut y échapper. Le feu n’épargne que les ventres vides. Faut-il faire la grève du ventre pour s’en prémunir ? Qui en a le désir ? Ou plutôt qui a intérêt ? Evidemment personne : « C’est le ventre qui porte les pieds et non le contraire ». C’est la poche saharienne qui finance la politique du ventre.

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« Quand le ventre est plein, il demande à la tête de chanter ». Nos ressources vitales viennent du sous-sol saharien. Nous sommes esclaves du marché mondial tant pour les exportations que pour les importations. Sur le littoral et les hauts plateaux, nous ne produisons rien ou presque rien ; par contre nous consommons tout ce que les autres peuples éveillés laborieux produisent avec leurs mains et leur intelligence. Toute notre nourriture provient de l’étranger prête à être consommée sans fournir aucun effort. Il suffit d’ouvrir la bouche. Toutes nos maladies rentrent par la bouche. Tous nos malheurs sortent de notre poche.

Aucune institution économique, politique, sociale ou religieuse n’est épargnée. De la pratique de cette politique, voulue ou subie, on ne peut sortir que rouillés pour ne pas dire souillés. « Celui qui désire du miel doit supporter la piqûre des abeilles ». On prend les hommes par le ventre, on les tient par la barbichette. L’Etat s’est institué propriétaire des gisements pétroliers et gaziers. La richesse matérielle d’un pays est une vertu politique qui permet d’entretenir un réseau clientéliste tant à l’intérieur du pays par le versement de revenus sans contrepartie productive que dans ses relations avec les partenaires étrangers avec la passation des marchés publics à bénéfice privé.

Chaque position hiérarchique implique généralement le contrôle de certaines ressources ; le titulaire d’une fonction publique gère les ressources d’une façon personnalisée. Plus les relations personnelles sont fortes et variées et nombreux sont les privilèges et les passes droits. L’amélioration de la situation sociale au lieu de se faire par une meilleure production se fait par la consolidation de ces communautés d’intérêts. Lorsque de telles relations envahissent l’ensemble des espaces, le pouvoir distributif devient le régulateur exclusif de la société. En Algérie, le pouvoir n’est pas une abstraction, il est avant tout une personne, un groupe ou un clan, d’où la nécessité pour domestiquer cette puissance, d’établir des relations personnelles avec elle. Un réseau pervers qui empêche toute compétence d’émerger et tout investissement productif de se réaliser. C’est le règne de la médiocrité et de l’impunité.  Avec la politique du ventre, « on ne réfléchit plus, on mange ». Comme dit un proverbe africain, « la chèvre broute là où elle est attachée ».

La nationalisation du pétrole et du gaz et la hausse du prix du baril de pétrole vont faire des ressources en hydrocarbures la principale source de revenu en devises du pays. C’est ainsi que la rente pétrolière et gazière va rendre le pouvoir de plus en plus attractif. C’est donc l’Etat qui va contrôler la quasi-totalité des ressources de la nation. En absence d’une démocratie en Algérie, l’enjeu politique ne sera plus la croissance économique et le plein emploi des facteurs de production de biens et services mais la répartition de la rente pétrolière et gazière à des fins de légitimation du pouvoir.

La rente va alors irriguer tous les réseaux du système et chaque réseau sera évalué et rémunéré en fonction de sa contribution à la stabilité du système. Ainsi, par ce mode de redistribution arbitraire et irrationnel des ressources nationales, l’Etat imposera une déresponsabilisation en profondeur, du sommet à la base, et de la base au sommet, à l’ensemble des acteurs économiques et sociaux, qui adoptent alors, sous l’effet de la pression sociale, l’idéologie du système c’est à dire « la politique du ventre ». C’est dans ce contexte que nos enfants naissent et grandissent dans un climat de corruption qui fausse leur conscience dès leur jeune âge en leur faisant croire que le succès dans la vie s’obtient non pas par les études approfondies et le travail honnête mais par la tromperie et le vol. « On prend les hommes par le ventre et on les tient par la barbichette ».

L’adage populaire qui dit « remplis lui son ventre, il oublie sa mère » trouve là toute sa pertinence. Une politique financée intégralement par la « poche » saharienne. Cette politique a consisté à vider la tête des hommes et à remplir leur ventre. Dès l’école primaire, on apprend aux élèves plus à obéir qu’à réfléchir. Et plus tard, à l’âge de la raison, ils se rendent compte que dans la vie professionnelle, l’obéissance à la hiérarchie est un critère déterminant dans la promotion sociale. Dans ce contexte, les capacités intellectuelles et professionnelles acquises à l’école, importent peu pour accéder et gravir les échelons de la hiérarchie administrative. Seul l’accès à un réseau le permet et l’obéissance aveugle dont il faudra faire preuve auprès de celui qui le contrôle. Le système tire donc sa véritable dynamique de la promotion d’un personnel politico-administratif médiocre, car il n’a aucune possibilité d’exercer son esprit critique, malgré, pour certains le haut niveau intellectuel acquis à l’université. Cette promotion de la médiocrité visant l’accaparement des ressources nationales par la faction au pouvoir et leur redistribution obscure à travers les réseaux qui soutiennent le système crée ainsi par sa propre dynamique interne les conditions de son inefficacité notamment dans le domaine du développement économique où le système se contente de poser quelques réalisations prestigieuses n’ayant aucune emprise sur la dynamique sociale et économique mais donnent lieu simplement à une apparence du développement. L’organisation sociale ne connaissant pas les lois de l’économique (profit, compétence, concurrence) fait que toute production interne propre est dévalorisée et ne donne aucun label de notoriété à son auteur. La société n’exerce aucune pression sociale sur la production mais tente d’agir sur la redistribution par le recours aux grèves sauvages et aux émeutes sporadiques et récurrentes. C’est pourquoi la compétence s’exile, se marginalise, ou s’enterre, alors que la médiocrité s’affirme, s’impose et se multiplie.

Dans les échanges, la cupidité domine le commerce, les importations freinent la production, les devises fuient le pays par la grande porte, La monnaie nationale dégringole, le billet de banque sert de papier hygiénique, le chèque ne trouve pas preneur, « la mauvaise monnaie chasse la bonne ».

La pièce d’un dinar a disparu. Comment faire l’appoint ? L’argent facile fascine. La passion l’emporte sur la raison. L’investissement n’a plus sa raison d’être, les entreprises cessent de produire, les algériens n’ont plus le cœur à l’ouvrage, le travail les répugne, la conscience professionnelle a disparu. L’algérien ne dit pas « je vais travailler » mais « je vais au travail » (cela veut dire je vais pointer et attendre la fin du mois pour percevoir mon salaire). D’ailleurs, si un compatriote s’amuse à travailler pour de vrai, il sera immédiatement licencié et privé de son revenu car il dérange le système. Chaque poste administratif et politique est transformé en un patrimoine privé, source d’enrichissement personnel pour celui qui l’occupe et de promotion sociale pour son entourage familial et immédiat. De plus, l’impôt sanctionne le travail productif et amnistie le profit spéculatif.

La fiscalité ordinaire se rétrécit comme une peau de chagrin, la fiscalité pétrolière et gazière n’arrive pas couvrir à elle seule toutes les dépenses de fonctionnement et d’équipement de l’Etat d’où le recours à la loi sur hydrocarbures qui n’est rien d’autre qu’un aveu d’échec d’un système de gouvernance militaro-rentier à bout de souffle. Après le pétrole, c’est toujours du pétrole. Qui osera le sevrer ? Il sera aussitôt mordu !!! 

 

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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